Puiser une sensation dans les mots qui la décrivent

Rappeler à une amie que les mots qui nous touchent sont aussi profonds que notre niveau de conscience

Chère W,

De temps en temps, Y. me fait part des échanges que vous avez ensemble. Hier, elle m’a raconté que tu gardes une lettre que je t’ai écrite sur l’amour et à laquelle tu reviens de temps en temps.

Je suis content que tu conserves cette lettre qui t’avait touchée au moment où tu l’as lue pour la première fois. Je ne suis pas flatté, je suis heureux de voir que j’ai pu, au moment de te l’écrire, être un canal pour te transmettre ce que ton cœur voulait te dire à travers mes mots.

Lorsque je l’ai écrite, je ne me suis pas contenté de te faire part de ma conception de l’amour : j’ai ressenti de l’amour pour toi, et c’est cela qui t’avait touchée.

L’amour est le meilleur canal pour établir une communion avec nous-même et avec les êtres. Bien meilleur que l’intellect. Nous avons tous besoin d’amour. Peut-être que toi, tu ressens ce besoin encore plus que d’autres parce que tu as tendance à trop penser, réfléchir et analyser. Ma lettre, écrite par amour, a fait jaillir de ton cœur l’amour réprimé.

Nous réprimons l’amour et nous nous interdisons inconsciemment de le vivre, parce que nous en avons été privés dans le passé et nous préférons oublier notre privation. Alors nous nous donnons des raisons rationnelles pour justifier notre privation en nous disant parfois que l’amour est un sentiment de faiblesse. En vérité, oui, l’amour est ressenti par l’ego comme une faiblesse car il enlève le pouvoir de contrôle de l’ego. Et l’ego se nourrit du contrôle qu’il croit exercer sur notre vie.

Dans ma lettre, je m’adressais à toi comme si tu étais juste devant moi. Parce que même si physiquement tu étais loin, ta présence réelle n’est pas limitée par le temps et l’espace. Dans le monde de l’esprit, nous sommes tous unis. Et même si je ne connais pas ton vécu passé qui constitue ta personnalité, je connais ce qui est éternellement présent en toi au-delà de ta personnalité. C’est cela qui a été touché par mes mots. C’est ton vrai toi-même que la plupart des gens ne voient pas car leur regard s’arrête au niveau de ta personnalité.

Lorsque tu reviens à ma lettre, tu as le désir de revivre cette sensation que tu as eue en la lisant pour la première fois. Ton cœur veut de l’amour frais, mais ton intellect lui sert un plat réchauffé. Ce n’est pas un hasard que tu en aies parlé devant Y., qui m’en a fait part, ce qui a fait naître en moi le désir de t’écrire de nouveau. Ton cœur voulait ressentir de l’amour frais.

Je ne dis pas qu’on ne doit pas relire un texte qui nous a touchés. Si, bien sûr, mais le texte ne peut te livrer que ce qui a déjà mûri en toi. Il n’offre pas la même profondeur de compréhension à tout le monde. C’est un miroir qui te reflète ton état de conscience du moment. Il ne contient pas un sens définitif, car celui qui le lit évolue. Et à mesure qu’il évolue, il trouve dans le texte un sens plus profond.

Ce ne sont pas les mots de ma lettre, mais la vibration qu’il y a derrière qui t’a touchée. Ce qui t’a fait plaisir était en toi ; je n’ai fait que le réveiller.

L’enseignement vrai a été comparé au vol d’un oiseau dans le ciel, qui ne laisse aucune trace derrière lui. Cela veut dire que les mots qui viennent du cœur et non de l’intellect nous livrent un message et disparaissent. Exactement comme l’adresse qui est inscrite sur une enveloppe de courrier est valable jusqu’à ce que le courrier arrive à destination ; après, l’adresse n’a plus aucune utilité.

On ne peut pas apprendre la vérité, on peut s’y immerger. Car la vérité n’est pas une formule, c’est un état d’être. C’est pourquoi dans toutes les traditions spirituelles, il y a des rencontres régulières entre les personnes intéressées par la vérité. Car l’atmosphère qui est créée par leurs rencontres les transforme de l’intérieur.

Comme tu le sais, chère W, la vérité est en nous, mais elle a été enfouie sous des couches de croyances et de concepts. Pour la retrouver, il ne faut pas apprendre de nouvelles choses mais plutôt oublier ce que nous croyons savoir. Et ce, afin de revenir comme des enfants. Lorsque tu étais enfant, tu étais plus près de la vérité que maintenant, parce que tu avais moins d’idées sur les choses. On dit que la différence entre un enfant et un sage, c’est que l’enfant vit innocemment dans la vérité, mais en est inconscient, alors que le sage retrouve consciemment la fraîcheur et l’innocence de l’enfance après les avoir perdues.

Je sens que derrière ta forte personnalité, tu as un cœur tendre qui a soif. Ta personnalité veut « comprendre » pour posséder la vérité, ton cœur veut « ressentir » pour se laisser posséder par la vérité. On agit comme conquérant, alors qu’on a besoin de nous abandonner.