La fin de la quête spirituelle

Réponse à une question de mon fils sur la fin de la quête spirituelle

Bonjour fils,

Je suis content de répondre à une question aussi cruciale que celle que tu m’as posée. Je te félicite de l’avoir posée, cela prouve que tu n’as pas envie de rester un éternel chercheur.

Tu dis avoir ressenti chez moi une paix profonde et un contentement, alors que tu remarques chez un grand nombre de chercheurs spirituels une tension continuelle vers un but, une poursuite effrénée de quelque chose qui leur manque et dont ils se sentent toujours éloignés.

Tu as voulu savoir qu’est ce qui s’est passé qui m’a fait sentir que je n’avais plus à chercher ni à courir après quoi que ce soit.

Je te fais part de mon vécu en te citant des paroles de maîtres que j’ai souvent entendues et qui ont guidé mon cheminement. On ne sait jamais quelle parole peut nous toucher et entrainer une prise de conscience en nous.

Je commence par celle qui m’était répétée inlassablement depuis que j’ai commencé ma quête : « tout ce que tu cherches est à l’intérieur de toi ».

Accepter cette affirmation a eu le mérite de tourner mon attention vers moi-même plutôt que vers l’extérieur. J’anticipe pour dire que, plus tard, j’ai compris que l’extérieur n’était qu’une projection de mon monde intérieur. Puisque comme tu as dû l’entendre « On ne voit pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes » ; ou « Il y a une Terre, et huit milliards de mondes » ; ou encore « Personne ne vit dans le monde, chacun vit dans son propre monde ». Enfin celle-ci « Qui regarde à l’extérieur rêve, qui regarde à l’intérieur s’éveille ».

Mais, alors qu’en acceptant cette affirmation, on devrait normalement se reposer, deux tendances continuent de coexister en nous. La première vers le monde des formes « extérieures » qui sont nos projections mentales auxquelles nous restons attachés, et la seconde vers un monde que nous projetons à l’intérieur et que nous cherchons à retrouver.

  1. Concernant le monde soit disant « extérieur », en réponse à une question qui lui avait été posée de savoir pourquoi il n’est plus affecté par lui, un maître avait répondu : « parce que j’ai avalé le monde ». Il voulait dire qu’il a cessé de projeter le monde à l’extérieur de lui. Et il a donné l’exemple d’un morceau de gâteau qui attire notre attention tant qu’il est dans l’assiette devant nous, mais qui cesse de nous préoccuper une fois qu’il est dans notre estomac.

  2. Concernant notre projection d’un monde intérieur que nous cherchons à retrouver, un maître demandait souvent à ses disciples de quel moyen de transport ils avaient besoin pour aller à l’intérieur d’eux-mêmes : voiture ? bus ? train ? bateau ? avion ? Ce faisant, il essayait de leur faire prendre conscience qu’il n’y a aucun trajet à faire pour « être » à l’intérieur d’eux-mêmes. Car l’ego, cette personnalité illusoire, veut toujours avoir quelque chose à faire, un trajet à effectuer, un but distant à atteindre. Sinon, il se sent inutile et il doit accepter qu’il est une création irréelle.

Un maître recommandait à ses disciples de toujours répéter « je suis arrivé, je suis à la maison ». Il ajoutait « même si vous êtes assis sur le siège des WC, répétez cela ». Il voulait qu’ils gardent à l’esprit qu’ils sont déjà à destination, qu’ils sont là où ils veulent arriver et qu’il n’y a aucune séparation entre eux-mêmes et leur but.

A présent, voici une parole qui répond directement à ton interrogation : « Le chercheur ne termine jamais sa recherche, il est terminé par sa recherche ». J’aime beaucoup cette parole car elle dit clairement que le chercheur est un imposteur. D’ailleurs dans mon livre, il y a un chapitre intitulé « démasquer l’imposteur ». Tant que cet imposteur n’aura pas été démasqué, il nous emporte dans une recherche sans fin.

Un maître a dit très justement que « toute l’action du chercheur est une tentative d’évitement ». Il feint de chercher la Vérité, mais il fait tout pour l’éviter. Il est prêt à faire plein d’efforts juste pour éviter de lâcher prise. C’est pour cela qu’il faut le garder à l’œil, et rester vigilant. A chaque fois qu’il veut « faire », l’amener à « défaire » et à se re-poser. C’est pour cela que ce qu’on appelle méditation, qui est un moment de repos, peut habituer l’ego à cesser son agitation. La méditation n’est pas une action, encore moins un effort, c’est un état de repos qu’on passe à ne rien faire. Le souffle fonctionne tout seul.

Petit à petit on devient spontanément conscient de son mouvement sans chercher à l’influencer, comme dans le sommeil. Les pensées surgissent, on ne cherche pas à combattre celles qui nous dérangent, elles passent. Certaines, plaisantes, retiennent notre attention pendant un temps. Pourquoi pas ? Il n’y a rien de mal à cela. Elles se projettent à la surface de notre conscience comme des images sur un écran. Les images ne collent jamais sur l’écran et celui-ci ne les retient pas. Un calme s’installe progressivement, sans être provoqué, ni forcé. La Présence qui est en nous, qui est notre source et qui est le vrai nous-même prend soin de nous si on lui fait confiance. Le souffle peut nous guider, nous envelopper et nous porter. Ce que nous cherchons est en train de nous chercher aussi.

On va aisément vers ce qu’on aime, c’est une question d’attirance. On ne peut pas faire semblant. Si on aime le calme, on le trouve, à condition de ne pas chercher à le créer. La paix est déjà en nous, elle n’est pas à créer. La joie aussi, ainsi que le sentiment d’amour. Ce sont tous des aspects de notre être.

Il faut éviter de juger les pensées, images ou sentiments qui émergent en nous. Les notions de bien et de mal, de bon ou de mauvais, de juste ou de faux nous maintiennent dans la dualité et donc dans la séparation, alors que la paix est dans le sentiment d’unité dans lequel tout doit s’intégrer et tout a sa place.

Une aide précieuse pour aller au-delà de la dualité mentale, et goûter à cette paix (parce qu’elle a vraiment un goût), c’est d’écouter parler d’elle de la bouche des personnes qui l’expérimentent et qui en parlent simplement. C’est ce qu’on appelle en Inde « le satsang » (compagnie de la Vérité), dans le christianisme « la communion des saints », et dans l’Islam la « compagnie ».

Avec une telle écoute, on joint l’utile à l’agréable. L’agréable d’abord, parce qu’on ressent déjà la paix, à condition de ne pas écouter à travers le mental qui veut apprendre des formules ou accumuler un savoir spirituel. Mais plutôt avec le cœur qui se laisse bercer par une histoire qu’on lui raconte et se nourrit de l’atmosphère créée. L’utile ensuite, parce que l’écoute qui crée en nous une atmosphère chaleureuse fait fondre lentement mais sûrement le glaçon de l’ego qui s’y expose. L’ego est fait de croyances figées sur nous-même et sur le monde qui empêchent la libre circulation de l’énergie vitale en nous et créent le sens de la séparation entre nous-même et tout ce qui est. Les paroles qui viennent du cœur les dissolvent progressivement.

Le meilleur état d’esprit qu’on peut avoir sur ce chemin « apparent », c’est celui du jouisseur, non celui du chercheur. Il faut tout entreprendre dans le plaisir. Aucune violence sur soi, aucune pression. Le chemin, si on tient à en voir un, est la destination même. On le savoure d’autant plus qu’on n’est plus tendu (de tension) vers un but. C’est ce que dit en essence la dédicace que je vous ai adressée à ton frère et à toi au début de mon livre.

Lorsqu’ils s’engagent dans une quête spirituelle, beaucoup de gens aspirent à ce qu’on appelle la réalisation ou l’éveil ou l’illumination. Au début de ma pratique d’introspection, on entendait souvent cela aussi. J’avais dit à un ami à l’époque (il y a plus de 40 ans), que notre pratique nous aura à l’usure. Il me l’a souvent rappelé depuis. L’usure de quoi ? — de nos efforts. De qui ? — du chercheur et de son esprit de recherche. Tous ceux qui parlent aujourd’hui de libération ne disent pas le contraire. Un maître a eu ces deux belles formules « on ne peut pas libérer la personnalité, on peut se libérer de la personnalité » et « on vous accuse d’exister, et vous plaidez coupable ». Parce que pour lui, comme pour moi, il n’y a que le UN, l’Infini, le Sans-Forme et l’Indivisible. La multiplicité apparente qu’on voit dans le monde des formes n’est que sa réflexion dans la matière.

Dans la chambre de mes parents, l’armoire avait trois portes dont une centrale à deux battants. Chaque battant était recouvert de l’intérieur d’un grand miroir. Lorsque je me tenais entre les deux battants pour voir ma tête de tous les côtés, je voyais à ma droite et à ma gauche une infinité de moi-même, par un jeu de réflexion mutuelle entre les deux miroirs. Tant qu’on ne l’a pas expérimenté soi-même, on ne peut pas se rendre compte à quel point le seul être qui soit réel peut créer à l’infini des répliques irréelles de lui-même. C’est exactement ce que le Sans-Forme invisible (qu’on appelle Dieu) crée dans le monde des formes visibles. Il n’y a qu’une Présence dont l’existence soit réelle, et elle est en nous.

Dans le Coran, il y a ce verset : « Nous (Dieu) sommes plus près de l’Homme que sa veine jugulaire ». Et le mystique Halladj a prononcé cette parole en pointant un doigt vers sa poitrine « Sous cette robe, il n’y a que Dieu ! »

Le Divin n’est pas uniquement en nous, nous sommes aussi en Lui. Tel un fœtus qui ne peut voir sa mère car il est dans son ventre, nous ne pouvons voir le Sans-Forme qui contient toutes les formes, y compris la nôtre, mais nous pouvons sentir son enveloppe, sa protection et tous les sentiments qu’il nous plait de ressentir car il en est la Source.

Je termine avec ces deux paroles de Rûmi :

J’ai cherché Dieu et je n’ai trouvé que moi-même ; je me suis cherché moi-même et je n’ai trouvé que Dieu — Rûmi

Pendant longtemps, comme un fou, j’ai frappé à Ta porte, jusqu’au moment où j’ai réalisé que je frappais de l’intérieur — Rûmi

Et avec celle-ci de Maharaji :

Nous devons tomber amoureux de l’Invisible — Maharaji

Eh oui ! car l’Invisible habite tout ce qui est visible.