Une explosion dont la force l’a hissée au 3e rang des explosions les plus puissantes de l’Histoire de l’Humanité mérite bien qu’on y consacre quelques réflexions.
On avait retenu depuis la fin de la 2e guerre mondiale les dates funestes du 6 et 9 août 1945, qui ont vu respectivement les bombardements des villes de Hiroshima et Nagasaki. Soixante-Quinze ans plus tard, presque jour pour jour, le 4 août (encore en août) de cette année, une explosion dont on ne connait toujours pas la cause exacte (la connaitra-t-on jamais ?) a secoué la ville de Beyrouth, en défigurant son visage tourné vers la mer.
Tout évènement se prête à plusieurs niveaux de lecture et donne lieu à diverses interprétations. Dans la société humaine, on ne peut remonter trop en amont pour rechercher les causes de ce qui arrive, et on se contente nécessairement de déterminer la « causa proxima », la cause immédiate, notamment pour définir les responsabilités et sauvegarder un tant soit peu la cohérence et l’ordre social.
Cette approche qui est indispensable pour la survie de toute société, n’exclut pas de procéder à une autre lecture des évènements.
Lorsqu’on a développé une vision holistique de l’existence, à travers laquelle on a la perception que tout est relié par des fils invisibles, y compris ce qu’on a appelé les objets inanimés, on comprend que chaque évènement qui survient est la conséquence d’une infinité de facteurs qu’il est très difficile de démêler. Alors on cherche plutôt à découvrir le message que tel ou tel évènement vient nous livrer, ou le sens qu’il dégage.
Or depuis le mois d’octobre 2019, un mouvement de contestation populaire a commencé au Liban, et il se poursuivait encore à la date de l’explosion. S’il est loin de faire l’unanimité autour de certaines de ses revendications, il n’en exprime pas moins un sentiment de ras-le- bol général de la population face à une mauvaise gouvernance du pays qui dure depuis plusieurs décennies. Malgré les manifestations et contre-manifestations qui ont eu lieu régulièrement depuis plusieurs mois, la situation est restée bloquée.
Un fort sentiment de frustration s’est emparé de la population qui, bien que divisée autour des revendications, éprouvait un même et profond sentiment d’impuissance. Aucune issue n’était en vue. Beaucoup de libanais avaient désespéré de voir les choses bouger et les croyants parmi eux se sont mis à espérer — peut-être sans trop y croire — une intervention divine.
L’année 2020 ayant amené, depuis son début, des bouleversements catastrophiques au niveau mondial, on s’amusait à imaginer dans les blagues qui circulaient sur les réseaux sociaux une catastrophe qui remettrait tout à zéro. Une de ces blagues disait littéralement qu’ayant été interrogé sur la solution dont le Liban avait besoin, un japonais aurait répondu que seule une explosion atomique semblable à celle de Hiroshima ferait l’affaire, car elle ferait table rase de tout et permettrait un nouveau départ.
Comme la série télévisée « Les Simpson » dans laquelle on a pu retrouver des prédictions sur un ton humoristique d’évènements qui ont eu lieu plusieurs années plus tard, n’est-il pas permis de penser que la colère accumulée et largement refoulée dans l’inconscient collectif libanais ne pouvait être contenue plus longtemps et a fini par exploser d’une manière qui pouvait débloquer la situation ?
L’écho assourdissant de cette colère sourde qui grondait dans les cœurs a en effet fait bouger les choses à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Faire bouger les choses à l’extérieur était aussi important car le Liban, de par sa position géopolitique et sa composition multiconfessionnelle, a toujours été la caisse de résonnance des mouvements qui ont agité son environnement, et trop souvent le souffre-douleur des autres. Aujourd’hui, encore davantage qu’hier.
Malheureusement, comme l’a écrit Victor Hugo,
L’Humanité est une grande roue qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un ! — Victor Hugo
Il y a eu des victimes et des destructions. Mais le cri de colère que le Liban a poussé et l’appel au secours qu’il a émis ont été largement entendus dans le monde, mais ils sont parvenus surtout à l’autre bout de la méditerranée, dans le pays qui a été, il y a exactement 100 ans, l’artisan du Liban d’aujourd’hui. L’Histoire offrait de nouveau à la France l’occasion de renouveler son engagement envers le pays du Cèdre dont elle a été — et continue d’être pour un grand nombre de libanais —, la « tendre mère ». Comment la France pourrait-elle jamais oublier cette parole prononcée par le Général de Gaulle le 27 juillet 1941 à Beyrouth :
Les Libanais ont été le seul peuple dont jamais aucun jour le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France? — Général de Gaulle