Le passage dans l'invisible n'est pas une fin

Expression de sympathie à une dame qui a perdu son père

Chère Y,

J’ai appris par C. la disparition de votre père. Quel que soit l’âge auquel un être cher nous quitte et quel que soit son état de santé, c’est toujours trop tôt car il laisse derrière lui un vide d’autant plus grand que nos liens avec lui étaient étroits. Pour une fille, la figure paternelle revêt une telle importance que ce départ la secoue dans ses racines les plus profondes.

Il faut assurément faire une place à la tristesse qui, à l’instar de toutes les émotions, doit être exprimée. Parfois, elle n’est pas ressentie immédiatement, mais il ne faut pas la refouler lorsqu’elle fait surface. Toutefois, qu’elle soit exprimée ou refoulée, la tristesse ne doit pas prendre toute la place. Ce serait trop égoïste de ne penser qu’à soi-même et d’occulter le fait que, pour la personne disparue, ce départ est une libération, surtout lorsque son existence terrestre est devenue pénible pour elle.

Vous n’êtes pas sans savoir que notre existence ne se réduit pas à notre part visible et à la forme qu’elle revêt dans ce monde. Notre relation avec les êtres que nous avons côtoyés n’est pas censée s’arrêter. Dans toutes les religions, les dévots prient un ou des êtres invisibles qu’ils n’ont de surcroît jamais vus. Pourquoi ne pourrions-nous pas continuer à communier avec des êtres qui existent et que nous avons vus et côtoyés ? La seule raison serait que nous accordions plus d’importance à ce corps qui n’est qu’un vêtement qu’à l’être qui le revêt.

À chaque fois que vous penserez à votre père, ne pensez pas qu’il « a été », mais plutôt qu’il « est ». Il y aura une voix qui s’élèvera en vous pour contredire cette réalité, mais cette voix n’a pas raison. N’y prêtez pas attention.

Il a été dit que pour vaincre la mort, il faut apprendre à mourir de notre vivant. La vie se charge de nous faire faire cet apprentissage tout au long de notre existence, entre autres lors des séparations de toutes sortes. Ce faisant, elle nous enseigne que derrière les formes nécessairement changeantes et non éternelles, se cache une présence éternelle. Car ce qu’on appelle « mort » n’est pas l’opposé de la vie, mais plutôt celui de la naissance. Et ces deux phénomènes d’apparition et de disparition s’inscrivent au cœur de la vie qui, elle, est éternelle.

Vous avez toute ma sympathie.